ILE-DE-France/41

 

L’ETRANGE BOUDDHA DE LA N7

 

 

Depuis deux semaines, une statue colossale se dresse à Evry, près de l’autoroute.

Cette œuvre religieuse est destinée à la plus grande pagode d’Europe

 

           

En se tordant le cou, on le devine de la nationale 7. Le colossale Bouddha doré trône au deuxième étage d’un bâtiment inachevé aux allures de parking. L’œil traque les caméras, l’équipe technique, qui pourraient justifier la présence du mastodonte souriant, à quelques pas des barres HLM du Parc-aux-Lièvres à Evry (91).  En vain. Cette statue en bronze haute de 4 mètres et recouverte de feuilles d’or 24 carats est en réalité destinée à la plus grande pagode d’Europe. Un édifice religieux de 3.000 m2 dessiné à l’orientale avec tuiles vernies, toits recourbés et escaliers en bois ouvragé.

           

Le vénérable Thich Minh Tam faufile sa frêle silhouette parmi les gravats. Président de la Congrégation bouddhique vietnamienne en Europe, il est l’instigateur de ce projet lancé en 1992.  «Notre communauté qui compte environ 100.000 personnes en Il-de-France, dont 60% de bouddhistes, ne possède qu’une douzaine de pagodes dans la région. Cela ne suffisait pas. Nous étions également à la recherche d’un siège social pour la Congrégation européenne », glisse-t-il en gravissant l’escalier à vis de la tour des morts, qui accueillera bientôt les cendres des défunts. De son sommet, il énumère les différentes fonctions du futur « complexe bouddhiste » : lieu de culte mais aussi de conférences, centre de formation des bonzes et médiathèque.

           

L’arrivée du Bouddha, il y a quinze jours, aurait dû coïncider avec l’inauguration de l’édifice religieux. Mais les travaux, entièrement financés par les donations de la communauté, ont été freinés, faute de moyens. « Tous les fidèles sont des réfugiés. Bien qu’en majorité salariés, ils sont pauvres », regrette le vénérable Thich Minh Tam. Jusqu’à présent, 5,64 millions d’euros ont été collectés. Manquent encore 3 millions. Manuel Valls, député – maire PS de la ville nouvelle d’Evry, espère obtenir un soutien de l’Etat. «  J’ai écrit à Jean-Jacques Aillagon, pour lui demander d’aider à la construction de ce lieu de culte, comme Jack Lang l’avait fait pour la cathédrale d’Evry via le centre d’art sacré intégré à l’édifice. » Le vénérable Thich Minh Tam préfère miser sur la multiplication des donateurs. « Nous souhaitons rassembler toutes les traditions bouddhistes dans la pagode. Bien sûr, dans un premier temps , il y aurait surtout des Vietnamiens mais nous pourrions ensuite accueillir tous les fidèles d’Europe, qu’ils soient d’origine japonaises, vietnamienne, tibétaine ou même française. »

           

Un rassemblement oecumérique qui pour cet adepte du bouddhisme de tradition Mahayana, dite du « Grande Véhicule », ne poserait aucun problème d’ordre liturgique : <<Certes, la cérémonie dépend de la coutume de chaque pays, mais l’essentiel de la doctrine, qui porte sur la tolérance, la compassion, est semblable.>> Frédéric Lenoir*, chercheur à l’Ecole des hautes-études en sciences sociales, acquiesce : « Aujourd’hui, et c’est l’évolution normale, les Asiatiques s’installent en France durablement.  La pagode représente plus un lieu de culte qu’un espace d’identité nationale, comme c’était le cas dans les premiers temps de l’exil. Evry pourrait donc effectivement accueillir les grandes fêtes communes à tous les courants. D’autant plus que la tendance, depuis le milieu de l’année 90, est un rassemblement, dans un souci de visibilité. » Il est en revanche utopique, selon le sociologue, d’espérer attirer à Evry les centaines  de milliers de Français de souche qui suivent «  la voie de l’Eveil » : « Globalement, peu d’entre eux sont séduits par le culte. Ce qui les attire, c’est le dalaï-lama et le zen. » Le vénérable Thich Minh Tam les a entendus, puisqu’il a prévu de convier le chef spirituel du bouddhisme à la cérémonie inaugurale de la pagode, programmée fin 2003.

 

Soazig Quéméner

 

* Auteur de La rencontre du bouddhisme et de l’Occident, en poche chez Albin Michel, et Le bouddhisme en France, Fayard.